Chacun a été ému par la photo du petit Aylan retrouvé mort sur une des plages de la station balnéaire de Bodrum en Turquie. Il a fallu cette publication britannique, choquante et bien tardive en France, pour alerter l’opinion publique sur le sort des migrants: les réseaux sociaux, donc la société civile, en partageant cette photo sous le terme « l’humanité échouée », ont ainsi imposé le débat, et peut-être, enfin, l’action des politiques.
Jusqu’à ce jour du 2 septembre, les responsables politiques n’ont guère bougé: peur du « faux pas », surtout face aux futures élections, peur de l’opinion publique française après la parution d’un sondage dévoilant que plus de la moitié des Français sont opposés à l’accueil de « migrants » …(ou de « réfugiés » ?), paralysie face au Front national qui occupe la scène médiatique ?
Il faut dire qu’en effet, les journaux lui sont largement ouverts: feuilleton familial, congrès à Marseille, tous les ingrédients sont là pour lui laisser la parole! Et quelle parole!
Une surenchère verbale, des propos haineux, des chiffres « effrayants » et des affirmations qui donnent le tournis, des propos simplistes qui jouent sur la peur, le tout affirmé de telle façon qu’on pourrait presque y croire ! En voici un « pot pourri »
Il est, en vrac, question de « l’invasion« , de la « subversion migratoire« , du fardeau migratoire« , des « miséreux » (qui vont prendre nos emplois) pour lesquels la France est la « destination prioritaire« , et contre lesquels il faut se protéger ! Des discours « plein de bon sens » … qui reviennent aux « fondamentaux » (sic) ; en fait, des propos qui nous reportent dans les années 30 du siècle dernier et cela est insupportable et ne demande aucune tergiversation (action de faire traîner les choses en longueur pour éviter de prendre une décision… définition du Larousse).
Nos fondamentaux, ce sont les droits de l’Homme, ce sont les valeurs qui ont construit l’Europe, dont la France, des valeurs d’accueil, de respect de l’autre, de la dignité de l’Homme, en un mot, tout ce qui fait l’Humanisme.
Une « invasion » ? De qui ?
Que disent les données du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR), à propos des réfugiés syriens qui sont la plus grande partie de ceux qui frappent à la porte de l’UE aujourd’hui ? (source: site du HCR)
4M 088 sont enregistrés le 6 septembre, dont plus de 2 M en Egypte, Irak, Jordanie et Liban, 1,9 M en Turquie; quant à ceux qui ont « envahi » la France, la réponse est dans les chiffres : Voir page du blog Bruxelles 2
Quelles propositions ?
La solution est difficile, personne ne peut le nier : la crise est humanitaire et appelle des réponses urgentes, à court terme; les accueillir est un devoir moral, mais les réponses sont aussi politiques et juridiques.
« Renvoyer les migrants chez eux avec humanité« (sic) ?
Il y a bien sûr des migrants « économiques » aux frontières de la Hongrie, de l’Autriche, mais la grosse majorité vient de pays en guerre, d’Irak, de Syrie, ou d’états peu sûrs (Libye, Soudan …) : ce sont donc des « réfugiés ». Ces termes, migrants et réfugiés, ne sont pas interchangeables. Le statut des « Réfugiés » –il date de 1951- leur donne accès à l’aide des états et du HCR : ils ne peuvent pas être expulsés car leur vie est menacée. Les états qui les reçoivent doivent assurer leur sécurité, aidés en cela par le HCR. Les « migrants » quittent leur pays pour des raisons économiques; s’ils y retournent, leur gouvernement doit les protéger.
Source, site du Haut Commissariat aux Réfugiés.
C’est une crise de demandeurs d’asile, de « réfugiés », que l’on ne peut ni humainement, ni juridiquement renvoyer chez eux… et où chez eux ? Il n’y a plus d’ambassade, même plus d’état ! Appeler à « renvoyer les migrants chez eux » ne veut strictement rien dire, sauf à donner dans le registre populiste !
Que peut faire l’Europe?
Jusqu’à maintenant, les dirigeants ont laissé agir les pays d’arrivée en « première ligne » : la Grèce, l’Italie, Malte, et la Bulgarie. Or, c’est une crise européenne qui appelle une réponse européenne.
Le 3 septembre, la Haute représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini a réagi fermement au manque de réponse européenne, car le risque de la division tétanise: « nous n’avons plus le luxe d’attendre ». Mais face à « cette crise sans précédent, nous ne pourrons pas y faire face par le biais d’une approche isolée des Etats membres, par une politique intérieure ou extérieure uniquement, il faut que l’Europe agisse vite dans la solidarité et la responsabilité. Chacun commence à comprendre qu’on ne peut plus s’offrir le luxe de pouvoir reporter les décisions à plus tard. ».
La chancelière allemande a réagi la première, suivie par la France et l’Italie qui ont réclamé une révision du droit d’asile et une meilleure répartition des réfugiés en Europe. Le Président de la Commission européenne propose le chiffre de 160 000 à répartir dans l’UE.
Les réunions des 9 et 14 septembre diront si les dirigeants comprennent qu’il faut une réponse européenne, responsable, solidaire-la solidarité est à la base de la construction européenne-, plus rapide que pour la crise financière, car ce sont des vies humaines qui sont en jeu.
C’est une crise peut-être plus grave dans ses conséquences que la crise grecque. En tout cas, ce sera une crise plus difficile à résoudre, car ce ne sont pas sur des critères techniques, des mécanismes financiers, sur lesquels il faudra s’entendre, mais sur des critères humains, des valeurs fondamentales qui sont le socle du projet européen, et cela nécessite une vision humaine et politique.
Viviane Boussier (Groupe MoDem Europe 78)