Quelles solutions « fondées sur la nature » pour la gestion de l’eau, des inondations et des pluies torrentielles ?

Alors que beaucoup de nos concitoyens (dont beaucoup d’Yvelinois)  sont encore dans la peine, même si les rivières ont retrouvé leur cours normal, Bruno Millienne, Président de Naturparif, Conseiller régional francilien et Président du MoDem 78 s’interroge sur les solutions à prendre pour éviter de telles catastrophes.

Préliminaire : L’île de France a fait face ces dernières semaines à des inondations d’une grande ampleur qui rappellent la crue centennale de 1910. Ces dernières sont la combinaison de facteurs climatiques extrêmes, appelés à se multiplier avec le changement climatique et d’une forte artificialisation des sols urbains (imperméabilisation des sols) et agricoles (tassement).

Pour faire face à ces risques, les pouvoirs publics plébiscitent le plus souvent des solutions lourdes ou « grises » (construction de digues, barrages, cuves enterrées, systèmes de canalisations, surdimensionnement des installations de gestion de l’eau, casiers en Bassée, drains, réhaussement des berges, etc.). Solutions efficaces mais onéreuses et pouvant accélérer l’onde de crue et accroitre l’artificialisation, qui paradoxalement est à l’origine des risques d’inondations ….

Ces solutions s’opposent aux infrastructures vertes ou « solutions fondées sur la nature »[1] qui désignent les solutions naturelles, qui vont de la préservation, à la réhabilitation ou la création d’écosystèmes naturels pour rendre de multiples services, notamment climatiques (gestion de l’eau, gestion des canicules, gestion de la qualité de l’air, etc.). Elles sont particulièrement adaptées à la gestion de l’eau. Elles peuvent être de taille différente (simple mare ou zone humide entière).

Elles peuvent et doivent être mises en œuvre à la fois dans les villes mais aussi en milieu rural car l’agriculture à un gros rôle à jouer pour limiter les phénomènes d’inondations… Les solutions fondées sur la nature sont en coût global bien souvent moins onéreuses que les solutions grises faisant appel à de l’ingénierie plus lourde et des besoins en matériaux accrus (béton, asphalte, technologies).

Priorités en ville :

Limiter l’imperméabilisation des sols (voire désimperméabiliser) mais dans le même temps accroitre la végétalisation . Les sols recouverts de végétation ont une grande capacité de rétention d’eau. Le duo sols-végétation est indissociable. La préservation des sols et des espaces de nature au sein des documents d’urbanisme doit être une priorité : politiques de densification (rénovation et logements vacants) -Politiques qui évitent le « tout-tuyau », autrement dit des solutions permettant de favoriser l’infiltration naturelle de l’eau via dans les sols, afin de réduire le risque de ruissellement et d’inondation.

– Politiques en faveur de l’arbre en ville, des haies d’arbustes. Un seul arbre (cela dépend de l’espèce) peut stocker 350 litres d’eau jusqu’à ce qu’il atteigne “saturation”, c’est-à-dire l’équivalent d’une pluie de 5cm. Ce stockage est d’autant plus significatif que le nombre d’arbre augmente.

-Renaturation des berges en ville, qui servent au captage des eaux d’écoulement et à leur ralentissement. Création de forêts urbaines servent à la fois de lieu de stockage de l’eau et réduire l’écoulement annuel de 2 à 7 % (étude à Chicago)

-Préserver les espaces verts et en créer de nouveaux

-Encourager la végétalisation des bâtiments (toitures et murs) qui seront autant d’espaces récepteurs et de stockage des eaux de pluies. Les toitures végétalisées ont la capacité de réduire le ruissellement en stockant de l’eau de pluie et en amortissant sont écoulement. Des études au Royaume uni montrent que la réduction est à hauteur de 23 à 38% par rapport à des toits non végétalisés. Cela implique un substrat supérieur à 10cm, ce qui est par ailleurs ce que l’on recommande aussi pour la biodiversité, et des plantes locales plutôt que des espèces horticoles.

-Engager des opérations de déminéralisation des espaces urbains (cours d’école, d’immeubles, voiries).

-Dans les projets d’aménagement (ZAC, lotissement), prévoir en amont une gestion intégrée de l’eau sur la parcelle, d’abord en limitant les surface qui seront bitumées et ensuite en prévoyant de créer des mares, des « jardins de pluies », des noues qui sont autant de milieux récepteurs des eaux de pluies. Important dans le cadre de 100 quartiers innovants et écologiques…

-Pour la voirie (routes), il existe des systèmes dits « drainants » qui facilitent la pénétration des eaux de pluies. Il s’agit par exemple d’asphaltes poreux. Pour les voies pompiers ou voies piétonnes, on choisira préférentiellement des dalles enherbées ou des systèmes de type evergreen (grilles engazonnées) qui facilitent l’infiltration de l’eau

Priorités en milieu rural :

La couche supérieure d’un sol naturel comporte 50 % d’air. A l’opposé, la surface d’un sol en agriculture intensive forme une croûte, dure, qui laisse peu passer l’eau et la fait ruisseler à sa surface : le ruissellement est un des problèmes de l’agriculture actuelle.

-Recréer des haies, des talus, des bandes enherbées dans les cultures qui sont là pour réguler l’écoulement, le ralentir. Les pratiques agricoles doivent aussi évoluer vers la couverture permanente des sols (pas de sols nus !!!).

-L’agriculture de conservation = non-labour ou labour peu profond et couverture végétale permanente, l’agroforesterie = réintroduction de l’arbre dans les cultures sont autant de pratiques innovantes qui vont dans se sens et permettent de conserver des sols qui fonctionnent comme une éponge, c’est-à-dire d’absorber directement de considérables volumes d’eau et de les retenir en son sein.

Un sol biologique riche en matière organique, par exemple, pourra absorber 20 % d’eau supplémentaire par rapport à un sol appauvri par les produits chimiques et le labour profond (constat du Rodale Institute), ce qui peut représenter une différence de 200 000 litres par hectare. Sur un petit bassin versant de 100 km2 constitué de 70 % d’agriculture, cela représente déjà un volume de 1,4 millions de mètres-cubes (1,4 milliards de litres) qui sera stocké ou infiltré au lieu de ruisseler pour s’accumuler dans les vallées. Imaginez le volume en jeu sur un bassin de 10 000 km2. Mieux encore : cette capacité d’infiltration est particulièrement cruciale lors des pluies violentes, c’est-à-dire lors des épisodes orageux. Un sol agricole vivant (en particulier riche en vers-de-terre) et bien structuré peut absorber entre 40 et 100 mm d’eau en une heure (voire 300 mm/h selon l’INRA) et joue donc un rôle d’amortisseur des pluies d’orage. À l’inverse, la plupart des sols agricoles dégradés actuels n’absorbent qu’un à deux millimètres d’eau avant d’être immédiatement saturés en surface ; tout le reste (c’est-à-dire la quasi-totalité) ruisselle alors massivement et provoque des débordements violents des cours d’eau.

-En fond de vallée, la plantation de haies denses transversales au cours de la rivière, sur les versants permet de freiner les écoulements et favoriser l’infiltration de l’eau vers les nappes (augmentation de la porosité) ; plus efficace si associées à des milieux herbacés (ex. vallée de la Lèze près de Toulouse : réduction de 25% des débits de pointe dans le cas où le fond de la vallée serait couvert par du bocage plutôt que des grandes cultures)

-Préserver les zones humides qui présentent précisément la faculté d’amortir les afflux d’eau. La zone inondable de la Bassée entre Nogent-sur-Seine et Bray-sur-Seine joue le rôle de zone d’expansion des crues de la Seine en amont de Paris. Pour remplacer cette infrastructure naturelle par un barrage d’écrêtement des crues, il faudrait débourser entre 100 et 300 millions d’euros. Autre exemple : les marais de Fontenay le Vicomte ont permis de limiter l’inondation de Corbeil-Essonne.

-Recréer des zones d’expansion des crues = Zones subissant des inondations naturelles Prendre en compte les zones d’expansion des crues dans les documents d’urbanisme, en particulier amont, et notamment l’interdiction de tout remblaiement et de tout endiguement dans ces zones. La Bassée joue un rôle majeur pour l’expansion des crues. Dans la vallée de la Marne, il existe un fort potentiel de recréation de ces zones d’expansion, encore trop souvent cultivées.

-Rôle important des boisements alluviaux (forêts humides de bords de cours d’eau) et de la ripisylve (berge naturelle) : la densité de végétation ralentit l’écoulement, augmente l’infiltration

Restaurer les prairies humides en Île-de-France : Pour rappel è Superficie en 2000 : 1051 ha … Superficie en 2008 : 559 ha / Les forêts alluviales en Île-de-France : 7701 ha en 2008 ( – 127 ha par rapport à 2000). Exemple de bonne pratique : restauration de la frayère du marais Communes de Crécy la Chapelle et Couilly Pont aux Dames (77) : Voir le lien ICI

(Source Natureparif)

[1] Le concept de « solutions fondées sur la nature » est porté par plusieurs ONG, experts écologues, chercheurs et la commission européenne, et bien sûr Natureparif, parce qu’il répond à la fois au défi du changement climatique et à celui de la biodiversité, soit faire d’une pierre deux coup et éviter les stratégies sectorielles moins efficaces …

 

 


Viviane Boussier, le 13 juin 2016