Voici la conférence de presse de François Bayrou qui a eu lieu le 21 juin et dans laquelle il explique aux Français les raisons de son choix de ne pas participer au nouveau gouvernement nommé après les élections législatives
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie d’être venus pour que je puisse au travers de vous expliquer aux Français les raisons du choix que j’ai fait de ne pas participer au prochain gouvernement.
Le ministère de la justice dont j’avais la charge était passionnant et j’y portais une loi à laquelle je tenais beaucoup, dont l’objet est de donner à la vie publique des règles sûres pour la moraliser dans tous les secteurs nécessaires et rétablir la confiance des citoyens dans leur démocratie.
Nous avons mis ce texte au point en trois semaines et l’accueil qui lui a été publiquement réservé montre le degré de son ambition et le caractère réaliste et novateur des dispositions annoncées.
Mais dans le même temps, par hasard j’imagine, une campagne s’est développée à base de dénonciations anonymes, accusant le mouvement démocrate que je préside d’avoir mis en place un système d’emplois fictifs. Nous n’avons jamais eu d’emplois fictifs.
Toutes celles et tous ceux qui ont travaillé au MoDem avaient contrat de travail et fiche de paye, et cela sera aisé à prouver. J’ai une absolue confiance dans la justice pour le prouver.
Mais je n’ai aucun doute, bien que mon nom n’ait jamais été cité dans cette enquête, que j’étais de ces dénonciations la véritable cible, dans le but de décrédibiliser la parole du ministre qui devait porter cette loi. Il y a, en effet, un certain nombre de forces et de puissances pour qui la moralisation de la vie publique serait un obstacle à leur influence et à leurs lobbies.
Dans une situation classique, il m’aurait été facile de défendre le mouvement que je préside aussi bien que mes amis dont je connais d’expérience la parfaite probité.
Nous avions tous les éléments de fait, aussi bien que légaux, pour articuler cette défense. La gestion de la ressource humaine dans notre mouvement a été régulière, normale, légale et je l’affirme morale.
Mais la situation dans laquelle je me trouvais placé, en raison de ma fonction de garde des sceaux, était telle que la seule personne en France qui ne puisse pas se défendre contre calomnies et dénonciations diffamatoires et abusives, c’est le ministre de la Justice. S’il dit : « nous sommes innocents », on l’accuse d’influencer les magistrats, y compris les magistrats du parquet dont on prétend à tort, qu’ils sont sous ses « ordres ».
Dans une vie publique d’une violence perpétuellement croissante, cela revient à boxer les mains attachées dans le dos.
Toute remarque faite en privé, remarque modérée et parfaitement justifiée, sur certaines méthodes journalistiques est immédiatement taxée de pression, comme si la liberté de critique et de jugement était à sens unique, et que le citoyen était uniquement obligé de subir certaines pratiques sans pouvoir même formuler son désaccord.
Je n’accepte pas de vivre sans liberté de parole.
Je n’accepte pas d’être condamné au silence lorsque l’honneur de ceux que je représente est en jeu.
Parce que voyez-vous, l’honneur, la probité, la décence, tout cela paraît chaque jour un peu plus dévalué dans le débat public français. Mais il se trouve que ce ne sont pas pour moi des mots creux.
Et cette situation exposait le président de la République et le gouvernement. L’on devinait bien que le débat qui se prépare au Parlement allait par ces polémiques être détourné de son sens.
Or c’est une loi à laquelle je tiens beaucoup, à laquelle j’ai beaucoup donné. Et il se trouve que je donne plus de prix au but à atteindre, à l’œuvre que nous avons à construire qu’à mon rôle personnel, aux titres, aux privilèges et aux galons.
J’en ai donc tiré les conclusions : je choisis la liberté de jugement et la liberté de parole ; je choisis de préserver la loi de moralisation et de confiance dans la démocratie ; je choisis de ne pas exposer à des campagnes mensongères le gouvernement et le président de la République que je soutiens.
Deux considérations méritent d’être abordées :
Je le dis comme je le pense : nous ne pouvons pas vivre dans la société de perpétuelle et universelle dénonciation. La France a été à d’autres époques le pays des lettres anonymes, celui paraît-il où l’on en a le plus écrit de toute l’Europe. La dénonciation du voisin, qui vous gêne ou que l’on jalouse, fait désormais système avec les réseaux sociaux et avec la presse ; la justice qui découvre ces éléments est obligée de se saisir ; l’ouverture d’une enquête est présentée comme une pré-condamnation, et la machine folle se met en route. L’acte le plus anodin et le plus normal, sous ce miroir grossissant apparaît suspect (d’autant qu’il n’est pas une vie humaine qui résiste à telle inquisition).
À cette déferlante, la démocratie ne résistera pas.
C’est une grande question pour notre société.
Cela a été, les historiens le savent, une grande question pour la Grèce antique qui a dû prendre les mesures les plus sévères, d’amende et de privation des droits civiques, contre les dénonciateurs professionnels, stipendiés comme tels, les sycophantes. Si une dénonciation, anonyme et non fondée, reprise dans la cocotte-minute réseaux sociaux/justice/médias, suffit à provoquer de telles vagues, comment se défend-on ? Pour l’instant, il n’existe aucune défense. Je pense que cette question doit être posée.
J’entends bien que la question se pose des lanceurs d’alerte. Il faut protéger les lanceurs d’alerte. Mais je veux rappeler que les lanceurs d’alerte sont définis dans certaines législations comme ne devant pas relever de conflits d’intérêt. Dans l’affaire qui nous occupe, le conflit d’intérêt est patent, les dénonciateurs ayant été pour les uns licenciés pour faute grave, pour les autres en procès avec notre mouvement, pour d’autres encore au service d’adversaires politiques. Or qui analyse, qui différencie les accusations ? Personne, et c’est un problème.
J’ai aussi une préoccupation politique. Le MoDem est désormais, avec sa personnalité et sa liberté, le deuxième parti de la majorité, le troisième groupe de l’Assemblée nationale.
Ma conviction est qu’il faut mobiliser tous les efforts, en cette circonstance nationale, pour aider le nouveau Président de la République.
Ma conviction est que l’élection d’Emmanuel Macron est une chance pour notre pays, et une chance pour l’Europe, pour l’équilibre du monde.
Ma conviction est qu’il est à la hauteur de la fonction.Il a besoin d’une majorité large et d’une majorité où le pluralisme ne soit pas un vain mot. C’est une majorité à deux piliers, et ce n’est pas par hasard. Chacun a sa pierre à apporter, les mouvements nouveaux, et les courants qui viennent de loin.
Nous serons des porteurs de stabilité. Nous serons des capteurs des mouvements et des attentes, des émotions de notre société. Nous proposerons des idées, nous en défendrons d’autres comme l’entrée dans notre loi électorale de ce principe de respect du citoyen et du principe de pluralisme qu’est la proportionnelle.
Nous serons, et je veux vous le dire, je serai à côté du Président de la République pour l’aider et le soutenir, fidèle à une entente politique et personnelle à laquelle, je veux vous le dire, j’attache du prix.
Au fond, cette décision, qui intervient le jour même où vient de se réunir à l’Assemblée nationale le nouveau groupe de notre mouvement, le premier de son histoire récente, est une décision pour servir : servir une certaine idée désintéressée de la politique, servir la majorité nouvelle dans son soutien au Président de la République, et servir une idée, aussi haute que possible de l’honneur, de la liberté de jugement et de parole, une certaine idée de la responsabilité.
François Bayrou